L’entrepreneuriat et le rapport au savoir à l’université – partie 2

Le rapport au savoir – partie 2

Diffusion des connaissances et du savoirDans les quelques articles publiés précédemment, nous avons vu que les tentatives de mise en place de mesures pour inciter à entreprendre dans les facultés de sciences humaines ont souvent été confrontées à des difficultés. Nous avons fait état de ces difficultés et de quelques pistes pratiques pour contourner les premiers obstacles.

Nous avons aussi évoqué les analyses et réflexions faites par d’autres depuis une vingtaine d’années sur ces questions et avons souligné l’absence d’une dimension essentielle : la prise en considération de l’état d’esprit des acteurs face à cette question qui s’exprime par une sorte de résistance.

Plutôt que de balayer ce constat d’un revers de main, et d’insister par un forcing, il apparaît fondamental de s’y intéresser et de questionner la source de cette résistance. Différents auteurs [i] se sont intéressés à la question montrent que la résistance provient d’une conception différente du savoir et de la relation que chaque chercheur entretient avec le savoir et le discours universitaire [ii].Les lignes qui suivent ont pour objectif de proposer la première étape pour aborder la question de la résistance à propos de l’incitation à l’entrepreneuriat dans une institution dévolue à l’enseignement et à la recherche en sciences humaines. A cette étape devra suivre l’élaboration des questionnaires d’enquête.

Les rapports que les individus entretiennent avec les savoirs sont relatifs aux contextes où ces savoirs sont produits et aux situations dans lesquelles ces savoirs sont exercés.

Les hommes entretiennent avec le monde, et entre eux (y compris lorsqu’ils sont «hommes de science ») des rapport qui ne sont pas seulement épistémologiques. Aussi les rapports de savoir sont-ils, plus largement, des rapports sociaux. […]. Ce savoir construit collectivement est approprié par le sujet. Cela n’est possible que si ce sujet s’installe dans le rapport au monde que suppose la constitution de ce savoir. Il n’est pas de savoir sans un rapport du sujet à ce savoir [iii].

Mais par ces lignes, nous n’avons posé que le cadre. Reste à proposer la base sur laquelle appuyer une analyse de la relation de l’universitaire au savoir académique.

A notre sens, le processus d’analyse ne peut avoir lieu sans avoir identifier au préalable les propriétés de la relation au savoir. Celles-ci sont au nombre de trois [iv] :

  • la dialectique par laquelle le sujet noue une relation avec l’objet d’étude (pratique du savoir, de la rationalité [v] et de la personnalisation)  ;
  • le désir [vi] (altérité et conflit) ;
  • le langage, assurant les fonctions référentielle, communicationnelle, et imaginaire).

Ces propriétés doivent permettre de comprendre ce qu’est la substance de cette relation. Cela établi, nous pouvons enfin en venir à la manière d’envisager ce rapport. Cette approche doit tenir compte de trois critères : « les propriétés attribuées à l’objets de savoir, les expérience de la pratique et l’intentionnalité du sujet selon les situations [vii] ».

La prise en compte de ces propriétés et de ces critères a permis d’élaborer un guide d’entretien qui a pu être testé. Il doit encore être amélioré, notamment par une analyse plus fine sur la manière de formuler les questions et par un travail plus approfondi sur le traitement des réponses reçues.

Reste une dernière dimension à évoquer. Le rapport au savoir décrit ci-dessus est individuel. Mais l’individu est membre d’une institution, en l’occurrence académique. Ce rapport au savoir peut être identifié comme une sorte « d’idéologie de la communauté académique [viii]». Si chaque individu « est son rapport au savoir particulier », nous ne pouvons passer à côté du fait que la résistance au changement soulignée plus haut peut être perçue comme institutionnelle [ix]. Le rapport au savoir devra donc aussi être étudié au niveau de l’institution représentée par les différents corps – professoraux, étudiants, etc. –  afin de mieux saisir ce qui se joue.

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[i] BARNETT, Ronald. Beyond All Reason: Living with Ideology in the University.

[ii] RESWEBER, Jean-Paul. Discours universitaire et questionnement philosophique, in Le Portique 6, 2000.

[iii] CHARLOT, Du rapport au savoir. Eléments pour une théorie, 73.

[iv] MOREAU, “Le rapport au savoir : un exercice de clarification conceptuelle à la lumière de l’école soviétique de psychologie.”

[v] « L’homme n’est pas, il doit devenir ce qu’il doit être ; pour cela, il doit être éduqué par ceux qui suppléent à sa faiblesse initiale, et il doit s’éduquer, ‘devenir par lui-même’ ». CHARLOT, Du rapport au savoir. Eléments pour une théorie, 57–58.

[vi] « Le désir est une aspiration première. Toutefois, si le désir est la donnée de base, s’il se définit en tant que tel et non à partir de ce dont il est désir, il ne peut exister que sous la forme d’un ‘désir de’ : il n’y a pas de désir sans objet du désir. Cet objet, en dernière analyse, c’est toujours l’autre. Autrui est la visée du désir, autrui comme personne ; le désir ne porte que sur un autre désir, il vise ce qui dans l’autre désigne un aure désir ».Ibid., 53.

[vii] MOREAU, “Le rapport au savoir : un exercice de clarification conceptuelle à la lumière de l’école soviétique de psychologie.”., 55.

[viii] BARNETT, Beyond All Reason, 112.

[ix] BEILLEROT, Idéologie du savoir, 116–118.

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